Depuis les premières photographies du siège de Rome par l’armée française en 1849, les intentions et les usages des clichés de guerre sont complexes : documenter, faire peur, manipuler, esthétiser.
Enzo Dizarn, responsable d’édition, est le maître d’œuvre du catalogue de l’exposition « Photographies en guerre », conçu en collaboration avec les trois commissaires de l’événement du musée de l’Armée : Mathilde Benoistel, Sylvie Le Ray-Burimi et Anthony Petiteau.
« Ce projet a tout de suite retenu mon attention et j’ai souhaité absolument le suivre. L’ambition de cet ouvrage de se concentrer non pas sur les conflits mais sur leurs représentations à travers la photographie est passionnante et originale. Le sujet est tellement actuel… Aujourd’hui, les images de la guerre contre Daech ou du conflit en Ukraine rapportées par des reporters portent les mêmes enjeux et risques de dérives » commente Enzo Dizarn.
Une préparation à l’image
Pour appréhender au mieux le pouvoir et la puissance de l’image ainsi que son rôle dans l’actualité, l’ouvrage est divisé en dix séquences chronologiques traitant chacune d’une période de l’histoire de la photographie de guerre. Chaque chapitre s’ouvre sur une image iconique, propose des essais pour contextualiser les clichés dans une approche historique, et se clôt par un entretien avec des historiens, des artistes, des chercheurs, des conservateurs ou encore des photographes de guerre.
Enzo Dizarn explique s’être attaché à relever deux enjeux principaux : le premier était d’être « très attentif à la contextualisation des photographies, souvent très violentes, qui nécessitent un accompagnement : quel était le contexte de la prise de vue ? sa production ? à qui était-elle destinée ? … Le second […] était de veiller à ce que les entretiens retranscrits soient dynamiques, grâce à des coupes ou à des reformulations. Les entretiens proposés dans le catalogue sont essentiels. Ils apportent beaucoup de profondeur aux sujets. »
Il souligne enfin une autre spécificité de ce travail : « L’appel d’offre était extrêmement précis. Le report de l’exposition causé par la pandémie a permis aux commissaires de mûrir ce projet et de dresser la liste de leurs attentes et objectifs pour le catalogue. »
Images de guerre, guerre des images
Le cliché Théâtre de guerre. Photographie avec un groupe de guérilla kurde, 2012 d’Émeric Lhuisset a été choisi pour illustrer la couverture du catalogue : des combattants kurdes scrutent l’horizon et semblent guetter l’issue d’un combat. Au premier plan, les jambes d’un soldat gisant au sol, son pouce posé sur son téléphone portable. Près de lui, un lance-roquettes…
L’image est en réalité une fiction, une mise en scène jouée par des soldats et inspirée, dans sa composition, des tableaux d’Alphonse de Neuville réalisés après la guerre franco-prussienne de 1870-1871. La photographie, comme l’art, est présentée comme « un outil pour donner à voir une image peut-être moins fidèle de la réalité mais plus percutante » (Anthony Petiteau, co-commissaire de l’exposition. Extrait du catalogue, p. 22).
« Les soldats sont désormais les premiers producteurs d’images du conflit. Avec leurs téléphones, ils capturent des scènes avant les reporters ! » souligne l’éditeur. Aux affrontements militaires s’ajoute une nouvelle guerre des images sur Internet, proposant une expérience directe des combats et déroulant, sous nos yeux, des clichés instantanés, entre réalité et propagande. Chaque camp cherche à convaincre l’opinion publique. « Il faudrait l’équivalent d’un serment d’Hippocrate pour les journalistes, pour sanctuariser leur rôle, qui doit être d’informer et de relater les événements tels qu’ils se présentent devant eux, sans les travestir. » (Yann Morvan, photojournaliste. Extrait du catalogue. Séquence « Photographier les guerres civiles et le terrorisme »)
Comment mieux appréhender les images choc des combats et s’en protéger ? « Justement, le catalogue est là pour ça. Il donne des armes… » conclut Enzo Dizarn.