L’art brut ne cherche pas les projecteurs. Il jaillit de l’intime, des recoins inexplorés de l’esprit, là où la créativité est pure et sans filtre. Cet univers fascinant, qui se développe en marge des sentiers de la convention artistique, prend une résonance particulière avec l’exposition « Art brut. Dans l’intimité d’une collection. La donation Decharme au Centre Pompidou », à découvrir jusqu’au 21 septembre 2025. Pour accompagner cette immersion inédite, notre maison coédite deux publications avec le Centre Pompidou, dont le Journal de l’exposition. Plus qu’un simple guide, ce journal offre des repères essentiels pour appréhender ce panorama singulier. Il invite aussi à une exploration profonde, éclairée par les regards croisés de « passeurs » – artistes contemporains, spécialistes avertis – et par les voix singulières des journalistes atypiques du magazine Le Papotin. Notre équipe éditoriale a confié à ces derniers le soin de commenter certaines œuvres, pour donner une nouvelle résonance à ces créations. Découvrez le point de vue de Gaspard et de Christophe Lhuillier, membres de la rédaction de ce magazine emblématique et de sa célèbre émission télévisée, Les Rencontres du Papotin.

Le Papotin : une voix unique depuis plus de trente-cinq ans
Créé il y a plus de trente-cinq ans à l’hôpital de jour d’Antony, un centre pour adolescents autistes, le magazine papier Le Papotin est né de la volonté d’offrir un accès à la culture à de jeunes esprits atypiques. Aujourd’hui, son comité de rédaction s’est élargi et rassemble une quarantaine de membres, issus de centres sanitaires et médico-sociaux d’Île-de-France. Leur ambition est claire : jeter un pont entre l’univers du soin et la société.
La publication propose des textes audacieux et une richesse de formats et de tons. Son succès est tel qu’il a donné naissance, en septembre 2022, à l’émission télévisée Les Rencontres du Papotin, diffusée sur France 2. Rassemblant plus de 3,5 millions de téléspectateurs, chaque émission voit la rédaction du journal interviewer une personnalité médiatique.
Pour une nouvelle résonance des œuvres
Nous en étions convaincus : pour donner une nouvelle vie à ces œuvres singulières, il fallait des regards neufs, loin des sentiers battus. Ainsi, Barbara Safarova, co-commissaire de l’exposition, a proposé une sélection d’œuvres imprimées aux journalistes du Papotin, afin qu’elles soient commentées par ces esprits libres, qu’accompagne Christophe Lhuillier. Cet ancien éducateur, devenu membre du magazine, est aussi le fondateur et guitariste du groupe Astéréotypie, un collectif de musique unique en son genre qui met en avant l’expression artistique des personnes autistes. À l’issue de la phase d’écriture, une vingtaine de textes ont été retenus pour figurer dans la publication finale.
Lors de notre rencontre avec Gaspard, le Journal art brut venait tout juste d’être imprimé, l’encre était encore fraîche ! Tandis qu’il s’emparait de l’exemplaire que nous lui tendions, son visage s’est illuminé d’une vive curiosité. « Ça ressemble à quoi, alors ? Ah ! c’est trop bien ! s’est-il exclamé, les yeux brillants d’un souvenir intact. Je m’en souviens. Ça s’est super bien passé ! C’était un atelier d’écriture, un des premiers qu’on a faits avec Christophe. Je dois écrire de beaux textes, mais surtout pas de textes pas possibles ! Des textes incompréhensibles ou incohérents. » Pourtant, Christophe tempère : « Nous, on les aime bien tes textes pas possibles ; dans Le Papotin, nous ne mettons pas de limites. Nous pouvons guider en cas de blocage, mais nous n’ajoutons rien. L’écriture spontanée est encouragée, sans contraintes grammaticales ou poétiques, ce qui la définit comme une écriture « brute ». »
Pour Gaspard, l’écriture, plus qu’un simple passe-temps, est une ancre : « Elle me solidifie », explique-t-il.
L’art brut, un pont vers la compréhension
Interrogés sur la définition de l’art brut, Gaspard et Christophe soulignent son caractère autodidacte et spontané : « C’est un aspect d’apprentissage pour faire de l’art. C’est l’art qui a été produit par des personnes qui n’ont pas eu accès à une forme d’académisme, pour une raison contextuelle, sociale, ou qui n’ont pas reçu de cours et qui n’ont pas nécessairement la volonté de montrer leur travail. »
Laissant parler ses émotions, Gaspard a sélectionné un dessin de Janko Domšić, une œuvre sans titre datant d’environ 1970, qui l’a touché. Devant cette création, Gaspard s’exclame : « J’aime beaucoup ce tableau. C’est de l’art ! Comme La Joconde, […] même si La Joconde est plus sombre. Ce tableau, ça fait du bien ! ».
Dans le texte qu’il a rédigé pour le Journal de l’exposition, il partage sa perception de l’œuvre :
« Si c’était moi qui avais créé ce dessin, j’aurais eu envie de faire la fête.
Il y a deux femmes qui sont au carnaval, elles sont masquées, nues.
Une paire de seins se perd jusqu’à l’emplacement des couilles. Sur les
deux côtés, deux boussoles indiquent l’heure de la fin de la fête. Elles
ont hâte que ça se termine. »
Loin des discours académiques, le Journal de l’exposition offre une approche inédite et essentielle de l’art brut, et met en lumière la puissance des regards et des écritures « bruts » des journalistes du Papotin. En intégrant leurs commentaires, cette publication ne se contente pas de documenter l’exposition, elle devient un pont audacieux entre une création artistique et une perception pure. L’art brut, commenté par ceux qui en saisissent l’essence avec une spontanéité désarmante, devient un vecteur de compréhension et de valorisation des richesses insoupçonnées de l’âme humaine.