Au musée de Cluny, entre les vestiges romains du frigidarium et la grâce énigmatique de La Dame à la licorne, le temps s’étire et se rétracte. Aujourd’hui, l’institution muséale met en lumière le xixe siècle et, plus précisément, la relation fertile que cette époque a entretenue avec l’ère médiévale. Nos éditions ont eu le plaisir d’éditer le catalogue Le Moyen Âge du xixe siècle. Créations et faux dans les arts précieux. Pour découvrir cette publication, nous vous invitons à une rencontre avec les commissaires, qui ont accepté de nous raconter leur aventure éditoriale. Bienvenue dans les arcanes de l’histoire, sous la houlette de ceux qui ont tiré les fils de cette narration entre l’authentique et le fantasme.

Le catalogue au fil de la narration
La belle aventure de cette exposition a débuté il y a six ans, à l’issue desquels les commissaires, Christine Descatoire et Frédéric Tixier, ont imaginé un parcours d’exposition en quatre actes, à même d’éclairer efficacement un propos assez complexe : comment le xixe siècle s’est-il emparé de l’époque médiévale, l’a-t-il redécouverte et réinterprétée au point qu’elle devienne une source d’inspiration foisonnante pour les arts précieux (ivoire, orfèvrerie, émaillerie et tissus) et donne lieu à un vaste corpus de créations, d’imitations, voire de pastiches et de faux ?
Loin d’être un simple inventaire, le catalogue embrasse la narration conçue par les commissaires et embarque le lecteur, dans un esprit fidèle à leur pensée.

« Nous ne faisons pas le même métier. Je suis conservatrice générale du patrimoine au musée de Cluny, tandis que Frédéric est maître de conférences en histoire de l’art médiéval, explique Christine Descatoire. Mais nous avons un outil commun essentiel : les catalogues d’exposition. Ce sont souvent des ouvrages scientifiques fondamentaux, sur lesquels nous pouvons revenir sans cesse. L’exposition est, par nature, éphémère ; elle passe, le catalogue demeure ! Il cristallise la recherche : il fait le point sur un domaine précis à un instant T. Grâce à l’ensemble de ses contributions, il devient une étape de recherche indispensable qui fixe la pensée. »
L’essai introductif du catalogue Le Moyen Âge du xixe siècle. Créations et faux dans les arts précieux débute comme une histoire : « À partir des années 1820 a lieu en France comme en Europe une véritable redécouverte du Moyen Âge, un medieval revival, qui place sur le devant de la scène un important patrimoine artistique en grande partie oublié, voire méprisé depuis la Renaissance. »
Lors de notre rencontre, Christine Descatoire insiste sur la nature très fantasmée et imaginaire de la vision du Moyen Âge développée dans le contexte de ce revival, en citant notamment l’exemple marquant de la ceinture de chasteté : « C’est un pur fantasme du xixe siècle sur le Moyen Âge, un produit de l’imaginaire collectif. Sa notoriété a été universelle pendant un siècle, jusqu’à ce que les progrès de la science la relèguent dans les réserves. Ça n’a jamais existé ! »

Le Moyen Âge : un âge d’or
La France du xixe siècle, fortement ébranlée par bouleversements révolutionnaires, nourrit une profonde nostalgie médiévale. Ce sentiment est alimenté par la recherche d’un âge d’or perdu, le fantasme d’une foi pure : on désire renouer avec le Moyen Âge, perçu comme l’époque fondatrice de la nation française, où ses institutions, son identité et ses frontières commencèrent à s’esquisser.
Cette nostalgie aurait pu rester contemplative sans l’onde de choc provoquée par un fait littéraire majeur : la publication du roman Notre-Dame de Paris de Victor Hugo en 1831. « Le roman fait de la cathédrale, alors en très mauvais état, un acteur, un personnage majeur, explique Frédéric Tixier. Son immense succès a eu l’effet d’un pavé dans la mare : il a créé une prise de conscience collective face à l’état de délabrement du patrimoine médiéval. Cet événement éditorial a ainsi catalysé un mouvement en faveur de la protection de cet héritage, qui a mené à la création du classement des Monuments historiques en 1837, seulement six ans après la parution du livre. »

Alchimie entre rigueur scientifique et création éditoriale
Le catalogue Le Moyen Âge du xixe siècle. Créations et faux dans les arts précieux s’articule autour d’une période particulièrement riche et de thématiques complexes. Pour transformer cette richesse intellectuelle en un récit fluide, les commissaires d’exposition ont travaillé étroitement avec Anne-Sophie Grouhel-Le Tellec, notre responsable d’édition.
« Cette collaboration, souligne Christine Descatoire, a permis d’établir un chemin de fer précis, que nous avons retravaillé avec Anne-Sophie pour organiser au mieux les sous-sections et les focus, de façon à assurer que la structure du catalogue reflète fidèlement le parcours de l’exposition tout en évitant toute redondance.
« La réussite du catalogue repose sur l’engagement immédiat d’Anne-Sophie, qui a parfaitement cerné l’enjeu du projet et a orchestré avec succès la collaboration entre l’équipe éditoriale et la graphiste. C’est très agréable d’avoir une responsable d’édition passionnée. »
Frédéric Tixier poursuit avec enthousiasme : « Pour le design, Anne-Sophie a briefé en amont la graphiste Anaïs Lancrenon, en lui transmettant l’essence du propos et la structure souhaitée du catalogue. Afin que le livre soit un véritable prolongement de l’exposition, la graphiste a introduit une codification par la couleur pour rythmer l’ouvrage et hiérarchiser les contenus. Ainsi, les pages jaunes sont dédiées aux focus thématiques – un choix chromatique qui, de manière surprenante, a été repris indépendamment par le scénographe de l’exposition ! Ces sections correspondent aux zones de l’exposition où le visiteur est invité à s’arrêter plus longuement devant une œuvre ou un groupe d’œuvres.
« Les œuvres sont présentées sur fond blanc. La qualité de leur reproduction photographique était importante et les photograveurs l’ont retravaillée. Le couronnement de ce travail graphique est la magnifique couverture centrée sur le buste d’Isabelle la Catholique. Elle met en scène la pièce spectaculaire en argent partiellement doré et pierreries, qui est l’un des points culminants de l’exposition. Le dos du buste apparaît sur la quatrième de couverture, dans un effet visuel continu qui donne au lecteur l’impression d’emporter ce chef-d’œuvre avec lui ! L’intégration d’une cuvette sur la couverture a été une idée superbe, qui souligne l’aspect précieux de l’objet livre. »

« L’exposition et le catalogue plaisent beaucoup, conclut Christine Descatoire. Depuis l’ouverture de l’exposition, nous comptabilisons plus de 30 % de visiteurs en plus sur la même période de l’année ! Ils dévoilent une création artistique fascinante dont l’influence perdure et revient par vagues successives. Notre analyse s’achève avec la Première Guerre mondiale, mais la renaissance médiévale demeure un phénomène cyclique qui imprègne encore la culture actuelle. Actuellement, nous vivons une période où cet héritage est prégnant dans la culture populaire et artistique. De nombreuses sagas fantastiques, sous forme de livres, de films ou de séries, puisent – elles aussi au prix de nombreuses libertés historiques ! – dans cette imagerie : Game of Thrones, The Last Kingdom, Le Seigneur des anneaux… L’univers d’Harry Potter témoigne également de cette fascination ; J.K. Rowling fait de multiples références au Moyen Âge, la plus notable étant la présence de La Dame à la licorne – chef-d’œuvre conservé dans notre musée – dans la décoration de la maison Gryffondor. Enfin, l’art gothique continue d’inspirer l’architecture et les institutions culturelles, comme l’atteste la récente exposition “Gothiques !” au musée du Louvre-Lens. »