Décembre 2025 au Grand Palais, Paris. Le public se presse pour découvrir les maquettes monumentales, de près de 7 mètres de haut, des futures œuvres de Claire Tabouret pour la cathédrale Notre-Dame de Paris : six verrières destinées à remplacer, dans la nef, six baies du xixe siècle signées d’Eugène Viollet-le-Duc.
Le catalogue d’exposition offre une plongée captivante dans les coulisses de ce travail préparatoire. Découvrez comment notre maison d’édition, en collaboration avec la graphiste Lisa Sturacci, a conçu un ouvrage qui reprend les codes religieux et se fait l’écho de cette incursion de l’art contemporain à Notre-Dame.

Un geste artistique
Après le terrible incendie de 2019, la cathédrale Notre-Dame se relève avec l’ambition de demeurer « pleinement fidèle à sa vocation en s’ornant de nouvelles œuvres d’art parlant à notre époque, parlant pour notre époque », selon les mots de l’archevêque de Paris, Monseigneur Ulrich (extrait du catalogue).
En avril 2024, l’Élysée et l’autorité ecclésiastique lancent un concours public pour la création de six nouveaux vitraux dans la nef, centrés sur le thème de la Pentecôte. Cette fête chrétienne commémore la descente de l’Esprit saint sur les apôtres et la Vierge Marie, sous l’aspect de « langues de feu » les rendant capables de parler toutes les langues du monde. Cet épisode est l’acte de naissance de l’Église : il en signe la première manifestation publique en tant que communauté universelle et missionnaire, car il lance officiellement son œuvre d’évangélisation tout en symbolisant une unité spirituelle qui transcende les divisions humaines.
Les nouvelles verrières doivent satisfaire une double exigence : il faut qu’elles soient fidèles au récit millénaire tout en l’interprétant profondément pour le rendre « intelligible à la sensibilité de nos contemporains, capable de rejoindre les plus hautes aspirations », comme l’explique Monseigneur Ulrich (extrait du catalogue).
Claire Tabouret, figure montante de la peinture contemporaine française, s’est imposée à l’issue du concours : son projet a en effet été choisi à l’unanimité. Par un heureux hasard, le Grand Palais lui avait proposé en 2024 d’organiser une exposition, et cette invitation, dont elle s’est saisie, lui donne aujourd’hui l’occasion de dévoiler les maquettes, à taille réelle, des vitraux créées pour Notre-Dame.
Un catalogue comme un missel
Tandis que l’atelier de maîtres verriers Simon-Marq – fondé en 1640 à Reims – entamait la production des œuvres finales, notre équipe d’édition concevait le catalogue, sous la coordination de Véronique Leleu, responsable d’édition. Celle-ci se souvient : « J’ai été très touchée par la profonde sensibilité de Claire Tabouret et par sa maîtrise de la couleur, qui, dans ce projet, est vive et raffinée. Son travail pour les six baies nous fait vivre l’histoire de la Pentecôte en six tableaux. Cette structure a été reprise dans le catalogue : six chapitres, chacun introduit par une citation significative extraite des Actes des Apôtres. Si le texte de Monseigneur Ulrich rappelle la dimension spirituelle de l’œuvre, qui est adossée aux textes bibliques, celui de Philippe Jost l’inscrit dans la gageure qu’a constituée le travail de restauration de Notre-Dame. Enfin, Bernard Blistène, dans une approche très documentée, l’inscrit avec finesse dans l’histoire du vitrail et en donne une lecture esthétique indispensable. Quant à la conception graphique de Lisa Sturacci, elle dialogue magnifiquement avec ce thème de la tradition chrétienne et en offre une résonance constante au fil des pages. »
Le choix d’un papier bible pour une partie du corps du livre revêt des enjeux symboliques, que la graphiste éclaire pour nous : « Bien que les thèmes religieux ne me soient pas particulièrement familiers, j’ai été immédiatement captivée par la vision développée par Sophie Laporte quand elle m’a présenté le projet. J’aime beaucoup travailler avec elle. Sophie est une directrice d’édition qui non seulement maîtrise le contenu et les mots, mais qui porte une véritable vision de l’objet-livre lui-même. C’est cette volonté d’innover et d’expérimenter de nouvelles choses, partagée avec Isabelle Loric, votre responsable de fabrication, qui a rendu notre travail passionnant. L’idée d’utiliser un papier bible pour ce catalogue en est l’illustration : c’est une suggestion que Sophie a immédiatement formulée, tout en sachant la gageure technique que cela impliquait. »

45 g
La réalisation de ce catalogue a été un travail délicat ; il a fallu toute l’expertise d’une responsable de fabrication aussi pointue qu’Isabelle Loric pour concilier la vision esthétique et les impératifs techniques d’un matériau très contraignant. « Le principal défi technique, explique cette dernière, a résidé dans l’impression de ce papier bible, auquel son extrême finesse (45 g) confère une faible stabilité dimensionnelle : il bouge dans la machine ! Nous avons dû imprimer en quatre couleurs recto et quatre couleurs verso, en un seul passage, à une vitesse d’impression réduite pour éviter les bourrages papier. Lisa Sturacci a joué de cette contrainte en élaborant une construction graphique astucieuse qui tire parti de la transparence du papier. Elle a positionné les images avec une précision extrême afin qu’elles se répondent visuellement (dessus/dessous, endroit/envers) sans jamais se superposer, de manière à créer un jeu de calque pour le lecteur. La fragilité du papier bible a également dirigé le choix de la reliure, cousue pour garantir la solidité. Coudre directement le papier entre deux cahiers risquait de le déchirer. Aussi, le papier bible a dû être placé au milieu d’un cahier de papier plus épais, celui des zooms sur les œuvres. »
Approfondissant le lien formel avec les ouvrages religieux, Lisa Sturacci a conçu une mise en page en deux colonnes, enrichie de signets rappelant les marque-pages traditionnels des missels. Trois rubans dépassant largement du bloc intérieur matérialisent les sections tout en renforçant la référence. La graphiste détaille sa démarche : « La mise en page rejoue les codes des publications religieuses de la Renaissance, qui voit, avec l’invention de l’imprimerie, l’impression des premières bibles diffusées dans de multiples traductions. Les deux colonnes de texte relativement serrées et les larges marges créent une densité visuelle qui évoque l’usage traditionnel de ces ouvrages, où l’espace laissé vide était prévu pour accueillir l’inscription de notes et de gloses. »

Les secrets de la couverture bleu marial
Lisa Sturacci a choisi d’illustrer la couverture avec un motif d’ornement que l’artiste a peint « avec ses coulures et ses répétitions manuelles, pour symboliser les fragments de la baie. Les couleurs sont très belles et ressortent sur un fond outremer. Claire Tabouret souhaitait un « livre bleu », couleur centrale dans ses vitraux, qui fait référence au bleu de la Vierge, dont la figure semble avoir marqué l’artiste, notamment en raison de sa dimension maternelle. L’artiste a d’ailleurs réalisé une recherche de teinte spécialement pour l’ouvrage, dont le bleu de couverture est par conséquent unique.
« La typographie choisie pour le titre, Goudy Old Style, est, elle aussi, symbolique, poursuit Lisa Sturacci. Avec ses empattements et son axe oblique, elle s’inscrit dans la famille des Garaldes, ces typographies utilisées au début de l’imprimerie, qui rappelaient encore l’écriture calligraphique. C’est aussi un clin d’œil au geste artisanal. Marqué à chaud et en estampage dans un bleu mat vif, le titre tranche sur la couleur de la couverture. »
Écho d’une création artistique, ce catalogue reflète aussi la démarche d’une Église qui se veut contemporaine, comme le souligne Lisa Sturacci : « Le texte de la Pentecôte, découpé en six parties qui scandent le livre, est magnifique et poétique. Il donne l’idée d’une l’humanité telle qu’on l’espère : l’Église parle ainsi aux contemporains, aux vivants ! »
Claire Tabouret a illustré le thème de la Pentecôte par des croquis aux couleurs tendres et joyeuses sur un fond de motifs entrelacés, en hommage aux vitraux, dits « en grisaille » ou « ornementaux », de Viollet-le-Duc, qui avaient déjà remplacé les anciennes verrières en 1831.
En présentant une œuvre figurative universellement lisible qui s’inscrit dans l’histoire de Notre-Dame, le catalogue documente un nouveau chapitre de la longue vie de cette mythique cathédrale.