Erwin Blumenfeld, figure emblématique de la photographie de mode, est à l’honneur au musée d’art et d’histoire du Judaïsme (mahJ), avec une exposition saisissante : « Les Tribulations d’Erwin Blumenfeld, 1930-1950 ».
Accompagnée par l’équipe de GrandPalaisRmnÉditions, Juliette Braillon, responsable des éditions du musée, offre un catalogue d’exposition exigeant et protéiforme, qui déploie les œuvres exposées, les valorise à travers des reproductions d’une extrême qualité et les enrichit par des recherches et essais scientifiques.
« Chaque image est un récit », E. Blumenfeld (extrait de Jadis et Daguerre)
L’exposition « Les Tribulations d’Erwin Blumenfeld, 1930-1950 » suit le cheminement de l’artiste sur deux décennies, en proposant une lecture intime et introspective. Le parcours est construit sur la base de l’autobiographie du photographe, publiée sous le titre Jadis et Daguerre aux éditions Actes Sud. « La période 1930-1950, entre son installation à Paris et son arrivée à New York, est celle où le photographe voit son destin bouleversé. Pour retracer cet itinéraire personnel et artistique, il était important de mettre la parole et les mots d’Erwin Blumenfeld au cœur de l’ouvrage. Aussi, de nombreuses citations rythment l’exposition et découpent le récit du catalogue.
C’est une exposition photographique riche, avec une sélection d’images incroyables, grâce au fonds d’archives familiales que la petite-fille de l’artiste, Nadia Blumenfeld-Charbit, a généreusement mis à la disposition du mahJ. Le parcours et le catalogue offrent des séries de photographies inédites », explique Juliette Braillon.
« Je prends au sérieux la beauté » E. Blumenfeld (extrait de Jadis et Daguerre)
« Préparer un catalogue d’exposition photographique exige un parfait traitement des images. Pour m’accompagner dans ce travail sur ce cinquième titre en coédition, j’ai fait confiance à GrandPalaisRmnÉditions, qui portent la même envie du beau livre d’art, exigeant par ses qualités iconographique et scientifique.
La difficulté principale a été l’harmonisation des reproductions des photographies, qui provenaient de sources et de supports différents, si bien que les qualités et tonalités de noir et de blanc étaient vraiment hétérogènes. Le travail a été exceptionnel avec Isabelle Loric, responsable de fabrication à GrandPalaisRmnÉditions. Ensemble, nous avons comparé et vérifié tous les scans avec les tirages originaux et, quand cela a été nécessaire, nous en avons généré de nouveaux. Les Artisans du Regard nous ont accompagnées en réalisant un formidable travail de retouche et de traitement des images. Nous avons imprimé le livre en cinq couleurs : un ton pantone direct a été ajouté aux quatre couleurs de quadrichromie, ce qui donne une profondeur et une luminosité particulières aux œuvres. De l’avis même de Nadia Blumenfeld-Charbit, co-commissaire de l’exposition, le rendu est vraiment magnifique, d’autant que l’artiste avait pratiqué beaucoup d’expérimentations ! » À l’instar de Man Ray, le photographe aimait travailler ses photographies dans son laboratoire, véritable champ d’exploration grâce à « la découverte du pouvoir magique de la chimie » (extrait de Jadis et Daguerre).
Juliette Braillon ajoute : « Erwin Blumenfeld utilisait divers éléments perturbateurs dans l’image, comme une fenêtre au verre ondulé, un miroir déformant ou brisé, un voile mouillé, etc. Ou encore il opérait sur le négatif un brusque changement de température qui fait apparaître un grain et, sur cette photographie new-yorkaise, il crée un motif sur des bas. Sa petite-fille nous a d’ailleurs confié que les techniques et les procédés employés par le photographe sont encore parfois mystérieux. »
« Une exposition n’est pas un livre sur les murs ! », Juliette Braillon
L’ambition constante qui guide la responsable d’édition du mahJ est d’offrir au visiteur bien plus que la reproduction parfaite des images qu’il a découvertes sur les cimaises. « Une exposition n’est pas un livre sur les murs ! Les deux médias se répondent et s’enrichissent. » Véritable ouvrage de référence, la publication comprend des essais complémentaires de spécialistes, des textes de Blumenfeld et de nouvelles confrontations d’œuvres.
Une des séries inédites de l’exposition est un reportage de 1947 sur les danses cérémonielles du pueblo San Ildefonso au Nouveau-Mexique, que le catalogue décrit, décrypte et contextualise. Juliette Braillon a confié cette série à Bruce Bernstein, anthropologue proche de cette communauté, qui a transmis les images à ses membres. « Il était impérieux pour nous que les habitants du pueblo valident la sélection des images exposées et reproduites dans l’ouvrage, afin de protéger le sens de leurs cérémonies. Ils ont regardé en détail les photographies, qu’ils découvraient, et les ont commentées. Cet échange s’est fait dans le respect de leur patrimoine et de leur vie privée et offre au lecteur un texte d’une grande richesse. »
Le catalogue éclaire, en l’enrichissant, une autre thématique de l’exposition : les camps d’internement en France et au Maroc durant la Seconde Guerre mondiale, à travers l’essai de l’historienne Anne Grynberg, illustré notamment par des images du camp du Vernet trouvées dans les archives de l’Ariège. Alors qu’en 1939, Erwin Blumenfeld rentre de New York, couronné du succès de son engagement au magazine de mode Harper’s Bazaar, la guerre éclate. Lui et sa famille sont internés dans des camps en France et au Maroc. En 1941, grâce à un organisation d’aide aux immigrants juifs, ils parviennent à embarquer pour les États-Unis. « Le réseau d’internement que la France a mis en place, dès janvier 1939, en France et au Maroc est tout à fait méconnu. Blumenfeld est passé par cinq camps ! » précise Juliette Braillon.
Enfin, la dernière salle de l’exposition présente des photographies d’une grande modernité, comme des clins d’œil aux grands maîtres pour qui sait les deviner. « L’éclairage du catalogue est ici très précieux. Il présente les photographies en regard des œuvres dont elles s’inspirent. L’essai de Nicolas Feuillie, co-commissaire de l’exposition, renseigne sur la grande culture de Blumenfeld. Son œuvre photographique est imprégnée et nourrie de nombreuses références à l’histoire de l’art. Le photographe déclarait : “Je me considérais comme moderne, mais me révélai classique.” ».
Le catalogue Les Tribulations d’Erwin Blumenfeld, 1930-1950 joue bien un rôle complémentaire et essentiel à l’exposition qu’il accompagne : s’il lui fait écho, il n’emprunte pas le même visuel de communication. Sa couverture, distincte de l’affiche de l’exposition, confirme sa nature particulière et autonome.