Méconnue en France, l’œuvre littéraire de Gertrude Stein fonda le modernisme américain. L’exposition du musée du Luxembourg présente le travail de cette écrivaine visionnaire, dont l’influence a été déterminante en France comme aux États-Unis. Son amitié avec Pablo Picasso a nourri leur recherche esthétique commune autour du cubisme, de la décomposition de l’image et du langage.
Nos éditions dévoilent le processus créatif qui a permis de mettre en lumière l’identité singulière de Gertrude Stein, offrant un prolongement essentiel et complémentaire à ce qui est montré au sein du musée.
En 2011, l’exposition « Matisse, Cézanne, Picasso… L’aventure des Stein » au Grand Palais a présenté l’histoire de cette famille de grands collectionneurs à travers elle le destin de la cadette, Gertrude. Américaine, installée à Paris dès 1904, elle avait accueilli dans son salon, rue de Fleurus, toute l’avant-garde artistique de la capitale et créé une des plus étonnantes collections d’art moderne. Toutefois, l’écriture de Gertrude Stein, sujet en soi, n’y était pas développée, ni son influence sur l’art américain. Aujourd’hui, ces sujets méconnus sont mis en lumière, sous le commissariat de Cécile Debray, à l’occasion d’un parcours original qui s’inscrit, cinquante ans après la mort de Picasso, dans la programmation « Célébration Picasso. 1973-2023 ».
La couverture annonce la couleur
En un titre et une image, la couverture réussit le double pari de préfigurer le contenu de l’exposition et de porter l’identité singulière de Gertrude Stein.
« La sérigraphie de Warhol saisit la puissance de cette personnalité forte et androgyne, véritable icône pop pour les artistes du xxe siècle, confie Cécile Debray. Cette œuvre est emblématique de la manière dont la figure de Gertrude Stein a été reprise et portée par la scène américaine. Sa dimension contemporaine, hiératique et pop, suggère bien la postérité du cubisme, évoquée par l’exposition ; Andy Warhol conçoit le portrait au trait stylisé sur un fond bicolore rose pâle, partagé par une diagonale qui semble faire écho aux Demoiselles d’Avignon, de Picasso, et, peut-être aussi, au célèbre vers steinien : “Rose is a rose is a rose is a rose”. »
À travers ses mots, dissociés et flottants, le titre sérigraphié convoque, immédiatement lui aussi, le concept de tectonique textuelle, au cœur de l’écriture cubiste.
Le catalogue offre une chrono-anthologie inédite
« Le propos de l’exposition, explique Cécile Debray, est de montrer la radicalité commune à l’écriture steinienne, qui déconstruit et libère le langage, et au cubisme de Picasso, qui décompose le réel. Il s’agit de deux œuvres conceptuelles assez difficiles, presque hermétiques. Aussi, nous avons choisi de donner à lire cette écriture sur les murs, en plaçant des citations de l’autrice près des œuvres de Picasso et d’artistes qu’elle a influencés. »
Léa Pietton, responsable d’édition de notre maison, détaille la démarche adoptée dans le catalogue : « [Il] suit le parcours de l’exposition et le complète. Un premier chapitre évoque la vie de Gertrude Stein à Paris, son amitié avec Pablo Picasso et son “cubisme littéraire” ; puis la seconde partie porte sur l’influence de son œuvre auprès des artistes américains. La singularité de l’ouvrage repose sur la chrono-anthologie. Elle mêle dates clés et extraits des écrits de la poète. Nous avons confié ce tableau synoptique, tout à fait inédit, à Philippe Blanchon, l’auteur de la biographie Gertrude Stein, publiée aux éditions Gallimard. Il fait de ce catalogue un outil de référence sur le sujet. »
Le journal, « biographique et narratif »
« Le journal offre, lui aussi, un angle nouveau, complémentaire au catalogue et aux textes de salle, ajoute Cécile Debray. Rédigé par l’historienne de l’art et commissaire associée, Assia Quesnel, il est une porte d’entrée dans l’univers de Gertrude Stein par le prisme des lieux qu’elle a traversés, depuis les États-Unis, où elle est née, jusqu’à Paris, où elle est décédée. Avec le journal, nous souhaitions proposer un parcours biographique et narratif de Gertrude Stein. Car le musée du Luxembourg est un lieu de l’histoire steinienne ! Rappelons-nous qu’elle habitait tout près, rue de Fleurus, et qu’elle a visité le musée alors qu’il était le premier musée d’art contemporain exposant l’impressionnisme. À travers différents témoignages, le journal donne la parole à celles et ceux qui ont côtoyé ou lu l’écrivaine. L’histoire géographique de Gertrude Stein est une allusion évidente à son essai L’Histoire géographique de l’Amérique. »
Catalogue ou journal ? Ouvrage de référence ou angle nouveau ? Les deux publications, complémentaires, éclairent ensemble la construction d’un personnage phare de l’avant-garde parisienne, lorsqu’elle accueillait, avec sa compagne Alice Toklas, une élite artistique en pleine effervescence dans son salon parisien du 27, rue de Fleurus.
Cent vingt ans après, à deux pas de là, le musée du Luxembourg célèbre l’héritage laissé par Gertrude Stein, encore très populaire de l’autre côté de l’Atlantique, et accueille une nouvelle génération d’amateurs d’art venue saluer sa légende.