À exposition particulière, ouvrage particulier… Nos éditions ont collaboré avec le musée des Confluences (Lyon) pour éditer le catalogue de l’exposition « Nous, les fleuves ». La scénographie invite le visiteur à suivre le cours d’un fleuve imaginaire et à écouter sa voix, qui l’interpelle sur le rôle des cours d’eau dans les sociétés humaines et sur la nécessité de les protéger et de les gérer durablement.
Carte blanche a été donnée à Léo Grunstein, graphiste, qui retrace pour nous le processus créatif qui lui a permis de traduire graphiquement cette exposition narrative, en donnant au catalogue une force visuelle et conceptuelle tout à fait singulière.
« Pour l’exposition “Nous, les fleuvesˮ, l’exercice était particulier. Alors que, pour le catalogue d’une exposition centrée sur un artiste, il est fréquent qu’une œuvre illustre la couverture, pour le catalogue Nous, les Fleuves, c’était moins évident. Quelle identité visuelle donner à un concept ? Ne retenir qu’une photographie, une œuvre ou un objet anthropologique aurait été réducteur. Le musée des Confluences n’a pas imposé sa charte ni le choix de l’affiche de son exposition. Il a laissé entière liberté d’interprétation à GrandPalaisRmnÉditions.
« Mon rôle est de créer une représentation visuelle d’un sujet qui soit cohérente aussi bien en matière d’esthétique qu’en matière de lisibilité et d’organisation. Je consacre toujours un long temps d’étude aux sujets que je traite afin de mieux les restituer. Pour Nous, les fleuves, je suis d’abord parti à la recherche des plus grands fleuves des cinq continents. Ensuite, j’ai longuement cherché des images poétiques du Mississippi, du Congo, du Yangzi Jiang, de l’Amazone et du Sepik : donner la parole aux fleuves et les personnifier comporte une réelle dimension poétique !
« Le format du livre et sa reliure avaient été décidés en amont par GrandPalaisRmnÉditions et le musée. J’ai reporté sur un écran les dimensions verticales en organisant les images. Puis, je les ai rendues abstraites pour n’en garder que les lignes fortes et les couleurs. Je suis un ancien élève de La Cambre, à Bruxelles, une école d’arts visuels fondée sur les principes du Bauhaus ; je suis attaché à travailler sur cette ligne fine entre le figuratif et l’abstrait, dans une direction minimaliste, épurée et simple.
Le livre est d’abord un objet
« Parce que le livre est d’abord un objet qui se manipule, qui se tord, qui se caresse parfois, je considère toujours la quatrième de couverture en même temps que la couverture. Réaliser le graphisme d’un livre, c’est le penser en volume, autant pour le recto que pour le verso. Mon idée, au départ, était de reprendre tous les noms des fleuves du monde que j’avais listés et de les ordonner alphabétiquement. Mais le rendu était un peu froid et cette première proposition n’a pas été retenue.
« Je suis alors parti sur une nouvelle approche, plus impressionniste, à partir des formes que j’avais obtenues précédemment. Pour représenter les mouvements de l’eau, j’ai joué sur les points et sur les cercles de façon à suggérer la forme de gouttes, en les épaississant et en les rétrécissant. De cinq, je suis passé à trois couleurs, soit un blanc et deux bleus un peu pop.
En ce qui concerne le titre, j’ai opté pour un marquage à chaud effet « miroir » afin d’évoquer le reflet et le scintillement de l’eau.
Épreuves et caractères
« Le choix de la typographie est essentiel. Elle est une forme de graphisme à part entière. Je passe des heures à regarder ce qui se fait dans les fonderies. Car dessiner une typo, c’est un vrai métier, minutieux et complexe. Je crée parfois des caractères, mais il y a des professionnels qui le font mieux que moi ! Pour Nous, les fleuves, j’ai choisi un lettrage très condensé, Coign, crée en 2021 par Colophon Foundry, qui fonctionne parfaitement avec le format haut et étroit du livre. Typographie et image s’entrelacent : les lettres sont comme baignées par l’eau, qui s’épanche et les submerge.
For intérieur
« L’exposition et son catalogue s’adressent plutôt à un public large et cherchent à éveiller une prise de conscience du rôle essentiel des fleuves, à susciter un éveil écologique. L’enjeu était de gérer les différents textes, de leur donner un statut clair entre grands chapitres, sous-parties, entretiens, cartels, images et dessins.
« J’ai donc ouvert les grandes parties avec une image pleine double page. Les titres des parties sont composés dans la même typographie que celle du titre sur la couverture, dans un souci d’unité. Les lignes de textes, placées en quinconce, jouent avec le format et s’étendent sur la double page, comme si elles se déplaçaient au fil de l’eau. Un court texte introduit les chapitres. À l’intérieur des pages, j’ai organisé l’espace et la lecture avec différentes tailles de police et différentes couleurs, du noir au bleu.
L’enjeu était de hiérarchiser l’information et de mettre en valeur les photographies et les dessins. A propose des dessins, je tiens à dire que le choix du musée des Confluences de demander à un illustrateur naturaliste lyonnais, Jean Grosson, de dessiner les animaux empaillés présentés dans l’exposition, était astucieux et m’a beaucoup plu.
« Le musée des Confluences et l’équipe de GrandPalaisRmnÉditions chargée du suivi de ce projet – Claire Bonnevie, Giorgia Passaro et Philippe Gournay – souhaitaient insérer dans l’album une page dépliante afin de renforcer l’idée de fluidité. Ils ont choisi une des œuvres maîtresses de l’exposition, un rouleau extraordinaire peint sur soie, réalisé vers 1765 par le peintre Xu Yang : Le Voyage d’inspection de l’empereur Quianlong dans le sud de la Chine. La traversée du fleuve Jaune (Huang He). Le rouleau, prêté par le musée des Beaux-Arts de Nice, s’étend sur 16 mètres de long. Il n’a pas été facile de prendre un détail de cette œuvre immense pour la reproduire dans le format vertical du livre. Avec beaucoup d’attention, j’ai observé les scènes dessinées, toutes les embarcations, et notamment celle de l’empereur qui se dirige vers le village où s’active fiévreusement toute une population villageoise prête à l’accueillir. J’ai pu choisir deux détails de l’œuvre, qui se déploient sur les quatre pages du dépliant en recto et verso, et nous avons reproduit l’entièreté du rouleau, en petit, sur la page suivante.
« J’exerce un métier qui me permet, à chaque nouveau projet, de nourrir ma curiosité et d’approfondir mes connaissances. Pour GrandPalaisRmnÉditions, j’ai conçu l’identité graphique des catalogues Magritte, Renoir, Le Surréalisme en plein soleil, Les Arts de l’Islam. Un passé pour un présent et Matisse. Cahiers d’art, le tournant des années 1930. Pour moi, le graphisme est avant tout un travail d’humilité et de sensibilité au service des éditions. Je ne suis graphiste que depuis une dizaine d’années, mais je constate, en observant les catalogues d’exposition de GrandPalaisRmnÉditions, que ce sont de plus en plus des livres de fond, qui ont une vie après les expositions. Je remarque d’ailleurs que, pour Nous, les fleuves, la couverture du catalogue ne reprend absolument pas l’affiche de l’exposition. Le livre a bien une vie propre. »