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Grottesco, première monographie d’Eva Jospin, un livre d’artiste

Notre maison édite la première monographie d’Eva Jospin, un livre qui donne corps et volume à la matière même de son œuvre. Né de la collaboration fertile et exigeante entre la plasticienne et la graphiste Line Célo, l’ouvrage accompagne l’exposition éponyme au Grand Palais.  Plongez dans les coulisses de ce projet éditorial où l’alchimie créative, ne laissant rien au hasard, transforme la publication en véritable livre d’artiste : un voyage depuis les royaumes de carton jusqu’aux feuilles de papier.

Eva Jospin et Line Célo à l’inauguration de l’exposition « Grottesco » au Grand Palais

Manifeste d’une vision artistique partagée
Au cœur de cette édition, deux femmes liées par une complicité tissée au fil de quatre catalogues antérieurs : l’artiste Eva Jospin, qui façonne des royaumes de carton, et la graphiste Line Célo, formée aux Beaux-Arts et aux côtés du célèbre éditeur Xavier Barral.
Elles envisageaient depuis longtemps de réaliser ensemble une monographie : « Nous en avions discuté avec Sophie Laporte, la directrice de vos éditions, raconte Line Célo. Elle était partante, mais les agendas n’avaient pas permis la concrétisation de ce projet. » C’est finalement l’exposition « Grottesco », ouverte jusqu’au 15 mars 2026 au Grand Palais, qui a donné à nos éditions l’occasion de le mener à bien en créant, qui plus est, un objet éditorial unique : ce catalogue d’exposition offre en effet au lecteur une plongée dans l’œuvre de l’artiste, un voyage au plus près de la matière.
Line Célo s’est faite l’interprète et l’artisane du rêve d’une artiste exigeante. Un rôle qui illustre l’importance de la collaboration aux yeux d’Eva Jospin, comme l’artiste le souligne dans le catalogue : « C’est formidable de pouvoir collaborer avec d’autres personnes. C’est vous qui dirigez le projet, qui avez la vision, mais vous travaillez avec des savoir-faire que vous n’avez pas […]. La collaboration enrichit le travail. Ce n’est pas seulement une délégation de tâches, c’est un échange. »

Vues de Selva (Exposition « Selva », Museo Fortuny, Venise 2024)

L’art de la découverte
Le titre de l’ouvrage est riche de sens, chargé d’une profondeur historique : « Grottesco fait référence au style dit grotesque, explique Eva Jospin dans un entretien avec l’historienne de l’art Diana Campbell, mais il remonte en réalité à la redécouverte de la Domus Aurea, à Rome. À la fin du xve siècle, un jeune homme, tombé dans ce qui ressemblait à une grotte, découvre d’incroyables peintures romaines au plafond du palais. Les artistes se sont mis alors à copier le style de ces peintures, qu’ils ont qualifiées de « grotesques », en souvenir de sa découverte. »
Or la notion de descente et de découverte progressive est essentielle dans l’œuvre de la plasticienne, qui scénographie ses expositions pour que l’ensemble ne soit jamais embrassé d’un seul coup d’œil. Cette exigence irrigue le catalogue. Pour faire écho à la philosophie de l’artiste — « Si on veut comprendre quelque chose en profondeur, il faut en faire le tour, au sens propre comme au sens figuré » —, Line Célo a conçu un ouvrage qui est lui-même tridimensionnel. Par un jeu minutieux de photographies en gros plans, en zoom, de face et de dos, la graphiste donne corps et volume à la matière et invite le lecteur à explorer les œuvres sous tous les angles.

La couverture, un véritable manifeste artistique
Léa Pietton, responsable d’édition, en coordonnant la publication avec une rigueur attentive et une grande discrétion, a su préserver un espace de liberté artistique absolue. Elle évoque avec nous les caractéristiques de l’ouvrage : « La couverture se présente comme un écrin. La conception du catalogue, en grand format et avec une reliure traditionnelle, repose sur un effet d’emboîtement très soigné. Le corps du livre est plus petit que sa couverture, ce qui crée une grande marge (nommée “chasse”) encadrant les doubles pages. Cela met également en évidence la qualité du rembordement de la toile extérieure. Ces finitions raffinées — telles que la toile, la typographie et le marquage à chaud au fer à dorer, qui évoque la broderie en fils de laiton pratiquée par l’artiste — renvoient à des codes classiques et en font un volume remarquable. »

Grande “chasse” : le corps du livre est plus petit que sa couverture

La couverture est devenue le cœur d’une recherche formelle menée par le duo créatif. « Me renouveler face à des œuvres que j’aime et que je connais intimement est un véritable enjeu, confie la graphiste. Nous avons choisi de faire appel à la typographe Céline Hurka, dont j’avais remarqué le travail original et subtil. Eva Jospin a orienté cette création en proposant comme référence l’œuvre de Jean Bérain, un dessinateur du xviie siècle dont les recueils d’ornements ont été largement diffusés en Europe. »
Eva Jospin a posé le geste final d’ornementation, parant elle-même les lettres du titre de motifs végétaux pour créer un effet d’entrelacement. Et en écho aux cadres ovales de ces dessins, Line Célo a positionné le titre en arc de cercle.
De cette alliance entre héritage classique et exigence contemporaine est né un lettrage conçu sur mesure pour la publication, validé avec enthousiasme par nos éditions.

Recherches graphiques pour créer des caractères inspirés de l’esthétique de Jean Bérain (Céline Hurka) 

Eva Jospin a fait preuve de la même exigence minutieuse, de la même passion du détail, pour ce projet éditorial que pour ses installations plastiques. « Chercher à atteindre la beauté nécessite un travail considérable », souligne Line Célo. Totalement engagée dans la conception et la réalisation du livre, la graphiste a accompagné Isabelle Loric, notre responsable de fabrication pour cet ouvrage, à l’imprimerie pour la phase cruciale du calage chez l’imprimeur.

Trois papiers, trois dimensions
La structure de la monographie consacrée à Eva Jospin repose sur trois piliers de conception qui visent à la fois à saisir la genèse intime de son œuvre et à assurer une qualité visuelle et matérielle pérenne.
Les premières pages offrent une immersion immédiate dans le processus créatif de l’artiste. Puisque « ses dessins réalisés avec des feutres très fins sont toujours à la source de ses créations », Line Célo a choisi d’ouvrir le catalogue sur douze planches de dessins, telles les prémices d’un rêve. Ce prélude instaure un sentiment d’intimité, renforcé par le choix d’un papier vergé qui évoque « les cahiers de dessins » et rappelle la noblesse des supports de gravure d’autrefois.
Placés en début et en fin d’ouvrage, deux textes fondamentaux, rédigés par les historiens de l’art Pierre Wat et Diana Campbell, analysent et contextualisent l’œuvre de l’artiste. « Je voulais un livre intemporel, confie Line Célo. Pour distinguer les textes, j’ai choisi avec l’aide d’Isabelle Loric un papier assez fin et souple, de couleur jaune pâle, teinté dans la masse, et un caractère typographique à empattement simple et classique, le Fournier. Ces choix apportent de l’élégance et préservent le livre de tout effet de datation.
Enfin, un soin extrême a été porté à l’iconographie, qu’a réunie Consuelo Crulci-Perrois. Harmoniser des clichés hétérogènes a exigé un travail d’orfèvre de nous tous : chaque œuvre a été minutieusement détourée et calibrée en collaboration avec le précieux atelier Les Artisans du Regard. »

Livre d’exception, le catalogue d’exposition Grottesco consacre la réussite d’une collaboration qui a relevé le défi de transposer dans un livre la dimension sculpturale de l’œuvre d’Eva Jospin. De l’alphabet sur mesure orné de lianes par l’artiste elle-même au choix méticuleux des papiers et de l’iconographie, chaque détail, pensé et validé avec nos éditions, fait écho à la tridimensionnalité et à la philosophie des sculptures d’Eva Jospin.
Cette première monographie consacre le travail de la plasticienne : une reconnaissance d’autant plus méritée que l’artiste, nouvellement académicienne des Beaux-Arts, s’engage à encourager la création artistique dans toutes ses expressions et à défendre le patrimoine culturel français. Bien plus qu’une référence, ce livre apparaît comme le manifeste d’une artiste majeure qui ne cesse de faire dialoguer l’exigence de la perfection avec la générosité du partage.