Sur la table d’une librairie ou dans sa vitrine, quelle couverture capte instantanément votre attention et pique votre curiosité ? En reflétant la promesse d’un contenu captivant, le design d’une publication transforme le livre en objet de désir.
En une image, un titre, un format et une fabrication, la couverture d’un catalogue d’exposition doit faire l’objet d’un consensus et répondre aux exigences de plusieurs protagonistes, pour lesquels elle est tout à la fois un outil scientifique, la mémoire d’une exposition, un bel objet, un instrument de communication et un enjeu commercial.
Notre rôle d’éditeur d’art est au cœur de cet équilibre avec pour mission, pour chacun de nos catalogues, de saisir les attentes des différents acteurs, de faire converger les savoir-faire et de construire, à plusieurs voix, une identité singulière pour que fond et forme s’épousent comme une évidence.
Pour comprendre ce long travail, voici l’histoire de la couverture du catalogue de l’exposition itinérante : « Matisse. Cahiers d’art, le tournant des années 1930 ».
Matisse, d’un continent à l’autre
« Le cas du catalogue Matisse. Cahiers d’art, le tournant des années 1930 est un exemple particulièrement intéressant, car l’exposition était prévue d’abord aux États-Unis, à Philadelphie, puis à Paris, au musée de l’Orangerie, et enfin à Nice, au musée Matisse. Or les attentes des publics américains et français ne sont pas nécessairement les mêmes, explique Sophie Laporte, directrice de GrandPalaisRmnÉditions. Il s’agissait d’un commissariat à trois que nos éditions, en lien avec les éditions des musées d’Orsay et de l’Orangerie et celles du musée de Philadelphie, devaient dès lors articuler.
La thématique de l’exposition et le contenu de son catalogue étaient communs, à savoir une rétrospective qui éclaire une décennie charnière dans la carrière de Matisse, alors en pleine période de doutes. Sa recherche artistique, qui se fait alors radicale, se retrouve au cœur de débats d’idées que relaient les Cahiers d’art, la revue d’avant-garde esthétique de l’époque.
Dès le départ, deux nécessités se sont imposées : d’une part, adapter le titre et le visuel en fonction de la version de l’ouvrage, de façon à ce qu’ils incarnent le catalogue et son discours, de manière différente mais avec la même force ; d’autre part, prendre en considération le fait que la mise en valeur du rôle des Cahiers d’art était d’un accès moins évident pour le public outre-Atlantique.
Il en est résulté des choix différents sur ces deux points majeurs pour les versions française et américaine du volume. En revanche, le format de l’ouvrage – et partant de sa couverture –, qui reprend le format généreux des Cahiers d’art, s’est tout de suite imposé à tous comme une évidence. »
Après des échanges nourris, La Femme à la voilette, une œuvre exceptionnellement forte prêtée par le Museum of Modern Art de New York (MoMA), moins connue du public hexagonal, a été choisie pour la version française du catalogue : « une toile empreinte de doutes et de questionnements », pour Cécile Debray, la commissaire de l’exposition à l’Orangerie ; « une œuvre de transition […] [marquant un] point de bascule dans la vie de Matisse vers une nouvelle pratique artistique », d’après Alix Agret, chargée de recherches au musée Matisse de Nice et coauteur du catalogue ; enfin, « une figure éloquente qui accueille le visiteur au musée de l’Orangerie dès la première salle, le plongeant aussitôt dans les années 1930, un choix emblématique du travail de l’artiste à une époque où il commence une nouvelle réflexion sur son art », selon Marie-Caroline Dufayet, directrice des éditions des musées d’Orsay et de l’Orangerie, qui a confié à notre maison la coédition du catalogue.
Le visuel d’un catalogue, la marque d’une exposition
Enjeu scientifique, le catalogue d’exposition est aussi un outil stratégique de communication pour un musée. Il incarne un événement, le diffuse auprès du grand nombre, de ses visiteurs comme de ses partenaires présents ou futurs, et le perpétue. Sa couverture résonne avec la communication institutionnelle et ses déclinaisons, que sont les affiches d’exposition, les cartons d’invitation ou encore les brochures de médiation.
Marie-Caroline Dufayet rapporte à ce sujet que « la politique de Christophe Leribault, président des musées d’Orsay et de l’Orangerie, est d’utiliser, dans la mesure du possible, un même visuel à la fois pour la communication et pour le catalogue. Ce n’est pas le parti pris de toutes les institutions et il arrive parfois que nous dérogions à ce principe pour différentes raisons. Identifié pour la couverture du catalogue, le visuel de La Femme à la voilette a semblé évident pour la communication et a été validé par la présidence. Il répondait également à l’autre volonté portée par notre institution, à savoir valoriser les prêts et les partenariats de nos expositions temporaires. La Femme à la voilette, qui n’appartient pas aux collections d’Orsay ni de l’Orangerie, est justement un prêt accordé par le MoMA. Cette œuvre s’inscrivait donc dans cette politique. »
La couverture d’un catalogue qui annonce la couleur !
Léo Grunstein, le graphiste du catalogue, a présenté plusieurs propositions visuelles pour le design de la couverture. Il confie : « Le choix de l’image s’est bien sûr fait en concertation avec les éditions et les commissaires pour des raisons de pertinence historique et scientifique. Cependant, je leur ai recommandé de choisir une œuvre où le sujet regarde le lecteur. Le tableau La Femme à la voilette fonctionne parfaitement pour la couverture, car la femme, le menton appuyé sur sa main, plante son regard dans celui du lecteur. Elle semble l’interpeller directement et l’inviter à se saisir de l’ouvrage.
Pour Matisse. Cahiers d’art, le tournant des années 1930, j’ai choisi la typographie Didot, utilisée historiquement par la revue pour son logo, mais dans une version plus contemporaine dessinée par la fonderie Hoefler. Pour le sous-titre, mon choix s’est porté sur un caractère linéal sans empattements, le Theinhardt. Les formes géométriques et pures de ses lettres sont caractéristiques de la modernité typographique qui s’est construite dans les années 1930.
Enfin, pour la couleur, le jaune éclatant est un clin d’œil au carré de couleur en couverture de la Revue des Cahiers d’art. Le bleu s’est imposé pour la typo, car c’est l’une des couleurs les plus emblématiques de l’œuvre de Matisse. »
« Un livre qui n’est pas diffusé n’existe pas »
« Habiller » avec justesse un catalogue constitue un enjeu commercial essentiel dans le marché très serré des beaux livres. Marie Potdevin, responsable commerciale de nos éditions, présente et défend nos ouvrages auprès de notre réseau de librairies-boutiques de musées comme auprès de notre diffuseur Flammarion : « Un livre qui n’est pas diffusé n’existe pas. Une couverture réussie est celle qui séduit, accroche le regard sur la table du libraire et donne envie de l’ouvrir. Un catalogue doit se défendre tout seul parmi d’autres ouvrages ; la couverture doit donner une idée immédiate de son contenu et de la qualité de son traitement. »
Marie-Caroline Dufayet en est aussi convaincue. Elle a soumis la couverture du catalogue Matisse à la responsable de la boutique du musée de l’Orangerie : « Lorsque le projet du catalogue a été enclenché, je suis allée à sa rencontre pour lui présenter notre projet. In fine, ce sont les boutiques qui commercialisent le livre. S’il y a un refus ou un obstacle, il est important de l’entendre et de réagir à temps. »
A juste titre
Il est important, également, d’entendre les différences culturelles d’un continent à l’autre. Aussi, le choix du commissariat du Philadelphia Museum of Art, qui a inauguré cette exposition en 2022, s’est-il porté, pour un contenu identique, sur un titre différent, un autre visuel et un traitement graphique distinct de la couverture.
Matisse. Cahiers d’art, le tournant des années 1930 est devenu, plus simplement, Matisse in the 1930s ; la mention des Cahiers d’art, référence sans doute trop spécifique à la culture française, ayant paru moins éclairante pour un public américain.
Pour ce qui est du visuel, le musée de Philadelphie a préféré The Conversation, une œuvre issue du San Francisco Museum of Modern Art, qui a été mise en valeur par un design plus sobre, sur fond blanc, dans une veine plus classicisante.
Un livre, deux livres ? Une femme, deux femmes… et une « conversation » pour faire dialoguer des codes culturels puissants et signifiants, résonnant avec de subtiles différences sur les tables des libraires par-delà les frontières.