Cette année, l’opération « Un livre pour les vacances » embarque les élèves de CM2 pour un voyage extraordinaire au cœur de la Provence avec L’Homme qui plantait des arbres, de Jean Giono. Le ministère de l’Éducation nationale, s’associant à notre maison d’édition, a invité Pierre-Emmanuel Lyet à illustrer ce récit initiatique et lui donner une nouvelle dimension.
Un lien particulier et providentiel avec Jean Giono
Après Joann Sfar, Voutch, Emmanuel Guibert, Rébecca Dautremer, Catherine Meurisse et Catel, Pierre-Emmanuel Lyet s’inscrit dans la lignée des illustrateurs qui revisitent les grands textes de la littérature. Sa mission ? Plonger le jeune lecteur sur le point d’entrer au collège dans un univers graphique unique tandis qu’il découvre le texte de L’Homme qui plantait des arbres, nouvelle écrite par Jean Giono en 1953.
« Lorsque le ministère de l’Éducation nationale m’a proposé de travailler sur ce grand classique de la littérature, confie Pierre-Emmanuel Lyet, j’ai été fou de joie, tant mon lien avec cette œuvre est profond. C’est sur les bancs des Arts décoratifs de Paris que j’ai découvert L’Homme qui plantait des arbres. Nous étudiions alors la version animée du réalisateur franco-québécois Frédéric Back, un classique du cinéma d’animation d’auteur. Je me souviens de la voix, si particulière, de Philippe Noiret, qui incarnait le narrateur. Et j’ai dès lors rêvé de pouvoir, à mon tour, interpréter ce magnifique récit.
Un autre lien providentiel me lie à Giono. La plupart du temps, je pars en vacances à Châtillon-en-Diois, un village drômois perché sur des hauteurs, non loin de Die. Dans ce bourg médiéval règne une atmosphère sereine, que Giono décrit dans Les Âmes fortes : “Entre deux flancs de montagnes, un petit bourg paisible, sans bruit. Le mot qu’on y prononce le plus souvent c’est : soleil. On prend le soleil.” L’esprit de Giono imprègne chaque recoin de ce village. Son visage est immortalisé sur une fresque murale et une forêt enchanteresse porte son nom. Il y a quelques années, les élèves de l’école primaire ont même participé à une plantation d’arbres, un geste symbolique qui perpétue l’héritage de ce grand défenseur de la nature. »
La double dimension du récit
« L’Homme qui plantait des arbres comporte une dimension à la fois écologique et antimilitariste. J’ai choisi de raconter la trajectoire du narrateur, un jeune homme solitaire et contemplatif, qui parcourt à pied une Provence aride. Lors de son errance, il croise un berger de la montagne, Elzéard, qui sème des glands depuis des décennies pour reboiser une région désertique. Là où il plante, la vie renaît. Puis, le narrateur part faire la guerre de 1914. Lorsqu’il revient des combats, il retrouve son ami, devenu apiculteur, et découvre un paysage métamorphosé : la nature y est luxuriante, et des familles s’y sont installées.
Le texte, marqué par une ellipse temporelle très forte, permet à Jean Giono de passer rapidement sur les années de guerre, sans doute pour dissimuler les traumatismes des combats. Visuellement, je l’ai traduite par deux doubles pages centrales juxtaposées. L’une, aux couleurs fauves, flamboyantes, exprime la violence de la guerre, tandis que l’autre, aux teintes douces et pastel, évoque la paix retrouvée. Les soldats font place aux arbustes verdoyants. Cette rupture graphique offre une illustration saisissante de la renaissance qui suit la mort, et plonge le lecteur au cœur du récit. Elzéard ne se contente pas de planter des arbres : il offre un refuge et une nouvelle vie à un jeune homme brisé par la guerre. Médecin du corps comme de l’âme, il panse les plaies physiques et émotionnelles. Cette dimension altruiste, subtilement distillée tout au long de l’histoire, confère à l’œuvre une beauté singulière. »
Au-delà de l’illustration, une aventure éditoriale exceptionnelle
« Si l’illustration de ce texte a été une expérience particulièrement riche, elle a aussi donné lieu à une aventure éditoriale hors du commun avec votre équipe. Guidés par la mission commune de créer un objet d’exception pour porter ce texte majeur, nous avons eu des échanges passionnés. Dès le premier chemin de fer, aucune limite ne m’a été donnée. Nous étions déterminés à faire de ce récit littéraire initiatique un album offrant une expérience esthétique forte aux jeunes lecteurs qui s’apprêtent à franchir le cap de l’entrée au collège.
Le grand défi était de fabriquer un ouvrage destiné à un tirage impressionnant de 900 000 exemplaires, contraint par un cahier des charges exigeant. Grâce à l’expertise de votre responsable de fabrication, Hugues Charreyron, nous avons trouvé un équilibre parfait entre qualité et quantité. Pour la couverture, un papier offset mat a été choisi en raison de l’élégant effet de matière qui le caractérise. À l’intérieur, un papier teinté jaune a été privilégié pour reproduire la chaleur du papier Moleskine, que j’utilise habituellement pour mes dessins. Hugues a également joué un rôle crucial dans le traitement des images et la restitution fidèle de mes couleurs. Son talent et son attention aux détails ont permis de donner vie à mes illustrations de manière exceptionnelle. »
« C’est une grande responsabilité que de porter ce texte pour l’adresser à de futurs collégiens, tant il résonne avec notre époque. Aujourd’hui, la jeune génération est confrontée non seulement à la violence qui irrigue médias et réseaux sociaux, à l’éclatement de la guerre en Europe et aux attentats qui surviennent dans leur propre pays, mais aussi aux bouleversements liés au changement climatique en cours et à la menace qui pèse sur la biodiversité. Ce contexte n’est pas éloigné de ce que vit le narrateur de L’Homme qui plantait des arbres. »Inspiré par la portée humaniste de la nouvelle, Pierre-Emmanuel Lyet a souhaité revisiter la fin du récit : tandis que le héros revient sur ses pas, las et blessé, à la recherche d’un espoir perdu, il découvre une terre aride transformée en oasis de vie, un village métamorphosé. Les ruines ont fait place à des maisons accueillantes, où la rencontre avec une jeune femme scellera son destin.