Tous les mois, nos éditions invitent une personnalité à choisir un ou plusieurs titres dans le catalogue. La sélection et les commentaires livrés par cet invité éclairent sans nul doute sa personnalité : « Dis-moi ce que tu lis, je te dirai qui tu es. » (François Mauriac)
La sélection de Marie-Claude Pietragalla
L’artiste chorégraphique, connue pour son approche multidisciplinaire, marque le monde de la danse par son innovation en mêlant la littérature, le théâtre, la musique et les arts visuels dans ses créations. Danseuse étoile à l’Opéra de Paris de 1990 à 1998, elle a pris la suite de Roland Petit à la direction du Ballet national de Marseille. Depuis, elle a fondé sa propre compagnie et école, le Théâtre du Corps Pietragalla-Derouault. En tournée actuellement pour les trois spectacles « La Femme qui Danse », « La Leçon » et « Mythologies », elle prépare sa nouvelle création pour 2024, « Giselle(s) » qui offrira une vision féministe moderne du ballet romantique.
Le livre est précieux, voire essentiel, pour Marie-Claude Pietragalla : « un beau livre vit, il se burine avec le temps. On le partage avec ses amis. Il peut m’arriver chez moi de décider de tout re-décorer et me débarrasser de meubles et des objets, mais jamais des livres ni des photographies. Il est un objet qui raconte tout un univers qu’on s’approprie, page après page ». Convoquer l’imaginaire est justement l’objet commun des deux publications que Marie-Claude Pietragalla a choisies dans notre catalogue : « Le titre et la couverture de l’ouvrage Le Rêve ont tout de suite piqué mon attention. Je me suis dit que ce livre était pour moi ! Il est magnifique avec cette bouche immense qui flotte comme un nuage, peinte par Man Ray. Elle me rappelle les lèvres-bijou de Dalí. ».
Le Rêve. Le catalogue de l’exposition au musée Cantini – Marseille (2016)
Marie-Claude Pietragalla nous plonge aussitôt dans un univers où l’imaginaire règne en maître. Pour elle, c’est de la pensée et des songes que découle le mouvement.
Elle entrouvre la couverture qui, une fois dépliée, devient affiche : « La jaquette est mouvante comme les rêves qui sont des scénarios, des images en mouvement. Les rêves et la danse ont en commun qu’ils sont tous deux les moyens d’expression de nos émotions, qu’elles soient inconscientes ou éveillées. J’ai toujours travaillé la création à travers l’inconscient. C’est ce qui m’intéresse le plus. Qu’est-ce qui surgit malgré vous ? Les songes tissent des liens entre la vie onirique et la réalité. L’inconscient a un champ d’action large et puissant : il ressurgit dans nos rêves et nourrit nos idéaux.
Je n’ai pas pu voir l’exposition au musée Cantini de Marseille, je le regrette. Mais je me laisse guider par le catalogue, de chapitre en chapitre, du songe à l’imaginaire en passant par le fantasme et le cauchemar, ce qui m’évoque Eugène Ionesco dont les œuvres ont justement pour point de départ un rêve ou un cauchemar. Le spectacle « M. & Mme Rêve », que Julien Derouault et moi avons imaginé et mis en scène, estun hommage à cet auteur incroyable.
Ce catalogue magnifique fait écho à notre intimité, à notre intériorité. Le domaine de l’inconscient, des songes, nous n’en ferons jamais le tour ; il est infini. Et tant mieux ! ».
Étrange visage. Portraits et figures de la collection Magnin. Le catalogue de l’exposition au musée Magnin – Dijon (2012)
En reposant Le Rêve, Marie-Claude Pietragalla se saisit d’Étrange visage, le second ouvrage qu’elle a sélectionné. « Les textes et les œuvres choisies pour ce catalogue d’exposition explorent le portrait à travers plusieurs époques et les différents partis pris des artistes. Regardez les textures reproduites qui sont incroyables. On distingue les traits épais au pinceau, les craquelures de la toile et même des images surprenantes de réalisme, pareilles à des photographies. On comprend ici que les personnes sont présentées de façons différentes, selon les époques. À quel moment est-on dans la beauté ou la laideur ? Y a-t-il une distance imposée ou le visage se livre-t-il à âme ouverte ? Ces figures humaines sont comme des objets étranges. Ce livre est finalement dans la lignée du Rêve parce qu’il convoque aussi l’imaginaire pour laisser deviner la vie de ces gens. J’aime l’idée qu’on pénètre dans les visages comme on s’enfonce dans des paysages, dans leur profondeur. Ces figures réunies sont une plongée dans le rapport aux autres, dans des histoires humaines. Ce livre me ramène encore à l’essence de mon travail et ma créativité : danser les émotions et les sentiments. À travers les arts que j’entrecroise, je me suis efforcée de construire un langage gestuel qui, en vertu de sa portée universelle, met en scène l’aventure humaine et fait écho à celle du public ».