Tandis que Claude Monet composait des paysages et des portraits en juxtaposant les couleurs, son frère, collectionneur et chimiste, les fabriquait et commercialisait des teintures synthétiques. Le musée du Luxembourg consacre une exposition inédite à « Léon Monet, frère de l’artiste et collectionneur », dont le cœur est le thème de la couleur, sujet cher à notre maison d’édition, qui s’est vu confier la réalisation du catalogue, du carnet et du journal d’exposition.
L’équipe de fabrication revient sur les coulisses du traitement des images et de la chromie appliqué au catalogue.
Une image « vivante »
Un catalogue d’exposition, à la fois livre didactique et livre-objet, est à la frontière de l’objet d’art graphique. Il est source d’inspiration et d’émotions. « Mon attention à la qualité chromatique et à la conformité des couleurs dans les photos d’œuvres d’art est constante. Les images sont travaillées au préalable, sans bien sûr être modifiées, pour les rendre dynamiques et vivantes » explique Hugues Charreyron, responsable de fabrication du catalogue Léon Monet. Il a confié la photogravure à Gilles Bâton, de l’agence Fotimprim qui précise qu’il « n’existe pas de banque d’images où les images source seraient à l’identique des œuvres. À chaque tableau, il faut recommencer et corriger les fichiers selon les éclairages. Pour la publication Léon Monet, les épreuves étaient soumises à l’expertise de la commissaire d’exposition, Géraldine Lefebvre, docteure en histoire de l’art et spécialiste du xixe siècle. Normalement, le photographe professionnel restitue une image probante, mais il est difficile de faire un shooting optimisé quand les conditions pour une bonne lumière ne sont pas réunies. Je pars d’un fichier source RVB (rouge vert bleu) et le convertis en CMJN (cyan magenta jaune noir) pour l’impression. Notre mission est de corriger les images, d’apporter du contraste, de déboucher les noirs si besoin, d’apposer ou de supprimer une dominante chaleureuse, d’augmenter la netteté, d’homogénéiser les images ou encore d’harmoniser les fonds, tout cela en tenant compte de la qualité du papier choisi, qui absorbe plus ou moins les encres. Pour le catalogue, nous avons travaillé en amont la photogravure sur quelques images pour les harmoniser et les dynamiser. Puis, une fois un résultat satisfaisant atteint, les corrections demandées par Hugues et par la commissaire ont été effectuées, jusqu’à l’envoi du PDF final chez l’imprimeur. »
« La couleur que l’on perçoit dépend de la lumière, et de la matière sur laquelle elle joue »
Pour certains tableaux, en particulier issus de collections privées, les fichiers numériques manquaient ou n’étaient pas suffisamment qualitatifs.
François Doury, photographe indépendant, collabore régulièrement avec nos éditions. Il se souvient : « GrandPalaisRmnÉditions ont une chaîne graphique très qualitative. Il m’a été demandé, pour une œuvre de la collection Léon Monet, de me rendre du côté de Rouen chez un particulier dont je tairai le nom par déontologie. La prise de vue d’œuvres d’art est une discipline très rigoureuse de la photographie, car il faut reproduire les œuvres fidèlement, avec leur valeur et leur rendu de matière. La couleur que l’on perçoit dépend, de fait, de la lumière et de la matière sur laquelle elle joue. J’ai toujours une petite appréhension en arrivant sur un lieu où je dois prendre une photo. Chez les particuliers, il n’est pas toujours possible de décrocher un cadre du mur et de le mettre à l’abri d’une lumière du jour gênante. Les collectionneurs sont parfois étonnés quand je dirige une lumière neutre sur leur tableau. Ils découvrent des détails et les réactions de certains pigments à la lumière. C’est en cela que mon travail est intéressant : il demande de s’adapter à toutes sortes de difficultés, sans compter l’intérêt d’avoir un accès privilégié à un bon nombres d’œuvres jusqu’ici inconnues ou presque du public. »
Le fonds iconographique du catalogue est composé de photographies noir et blanc, d’œuvres impressionnistes, de fonds papier et aussi d’estampes japonaises que les deux frères collectionnaient. Quand Claude Monet acquérait des estampes peintes avec des couleurs naturelles, Léon, lui, préférait celles composées avec des couleurs chimiques, qui avaient la particularité d’être plus intenses et plus vives. La variation de fonds et de couleurs dans la publication, induite par les différentes sources d’images, a nécessité une attention particulière en photogravure pour harmoniser les tons, notamment les rouges des coupons de tissus japonais.
Au fil des pages
Renouant avec l’essence originelle des catalogues de collections, la publication inclut le répertoire complet et inédit de la collection Léon Monet. Elle apporte aussi un éclairage sur la révolution des colorants synthétiques, à laquelle le chimiste a pris part en dirigeant l’usine de production Geigy & Cie à Maromme, dans la région de Rouen, pionnière de l’industrie textile.
Hugues Charreyron précise : « Pour présenter et vendre les couleurs qu’il produisait, Léon Monet utilisait un nuancier composé d’échantillons de fils de coton teintés. Il était important de reproduire cette boîte. Une première prise de vue avait été faite, mais elle avait mangé les volumes dans un aplat de couleurs. On ne distinguait plus les fils. Pour recréer les bobines altérées, notre photograveur a reproduit des fils, les a inversés, retouchés, puis incrustés dans la couleur en recréant de la matière. »
Au lecteur refermant le catalogue, la couverture offre, en guise d’épilogue, un magnifique feu d’artifice de tons purs juxtaposés. Elle illustre combien la couleur a, à la fois, uni Claude et Léon Monet dans une complicité créative et a été la source de leur séparation. Claude ne pardonnera pas à son frère l’échec professionnel de son fils Jean, recruté en qualité d’aide-chimiste à l’usine, ni son décès à la suite d’une maladie respiratoire incurable qu’il aurait contractée au contact de produits chimiques.
Le peintre, affecté par une cataracte dans ses dernières années, aurait-il plongé dans les couleurs pour y noyer ses chagrins ?