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Quand les photographies du catalogue Tapisseries royales révèlent les secrets des ateliers

Pour la première fois en France, un ensemble de tapisseries contemporaines uniques, dessinées par les artistes danois Roepstorff, Alexander Tovborg, Tal R et Bjørn Nørgaard, et réalisées par des licières des Manufactures françaises, investissent le Grand Palais. Coédité par notre maison avec la Royal Danish Collection, le catalogue de cette exposition, Tapisseries royales, offre une immersion dans le cœur même du processus créatif de ces œuvres commandées par la Nouvelle Fondation Carlsberg pour le château de Kolinghus. Un voyage rendu possible grâce au regard de Sophie Zénon. Ses photographies ne se contentent pas de documenter, elles dévoilent l’envers du décor : la minutie invisible, le souffle et la patience insufflés dans chaque fil, rendus possibles par la complicité que sait établir la photographe avec les artisans. Notre maison d’édition a rencontré cette artiste photographe d’exception, dont les images éclairent le « hors-champ » de l’exposition, apportant un regard intimiste et sensible sur la genèse de ces chefs-d’œuvre intemporels et sur les artisans qui les ont façonnés.

Sophie Zénon dans son atelier parisien de la Villa des Arts © les Éditions GrandPalaisRmn, 2025

Des images-hommages au cœur du geste
Sophie Zénon est une conteuse, qui, depuis plus de vingt ans, tisse des récits visuels. Historienne et ethnologue de formation, elle immortalise les gestes et les savoir-faire des métiers d’art, mettant ainsi en lumière les liens qui unissent l’homme, l’outil et le matériau. Appréciée pour son regard unique, elle a travaillé pour les plus grandes manufactures et maisons d’excellence (Sèvres-Cité de la céramique, le Mobilier national, Delisle, Charlois, etc…) mais aussi pour la Fondation Bettencourt Schueller, dont l’une des actions s’attache à la valorisation des métiers d’art. Dans le catalogue Tapisseries royales, elle nous fait découvrir l’univers mystérieux des ateliers des licières, ces artisanes d’exception qui créent les tapisseries dans les manufactures des Gobelins, de Beauvais, d’Aubusson et de Felletin. Chaque cliché, fruit du lien invisible et puissant tissé entre la photographe et celles dont elle saisit l’image, est un hommage vibrant à la maîtrise et à la persévérance de ces artistes du fil.

La licière Camille Mouchet à l’œuvre sur une tapisserie monumentale de Tal R à l’atelier de basse-lice des manufactures textiles du Mobilier national à Paris © Sophie Zénon pour la Royal Danish Collection 

« Les photographies que j’affectionne, confie Sophie Zénon, sont celles où l’artisan m’a totalement oubliée, comme celles de Camille Mouchet, licière au Mobilier national. Son travail relève d’une totale abnégation. Ces “Pénélopes modernes” tissent pendant des années des tapisseries monumentales uniquement sur l’envers ! Pour se guider, elles confectionnent une reproduction à l’échelle 1 de l’œuvre (appelée “carton peint”), qu’elles placent sous les fils de la trame, et, sur la trame, elles disposent des miroirs pour visualiser l’avancée de leur création en se référant à l’œuvre originale, accrochée derrière elles. Elles ne découvrent la tapisserie qu’à la “tombée de métier”, c’est-à-dire quand la tapisserie est achevée et que sont coupés les fils qui la retiennent au métier à tisser. Ce moment où l’œuvre est dévoilée est toujours empreint d’une intense émotion ; il marque en effet la fin d’un défi incroyable. Ainsi, Camille Mouchet a travaillé au tissage de la tapisserie de Tal R de 2019 à avril 2025, soit pendant six ans : cela représente tout un pan de vie pour elle ! »

Dans son atelier à Felletin, la licière Catherine Bernet procède au contrôle de la gamme des couleurs, après avoir annoté le carton peint d’une œuvre de Tal R © Sophie Zénon pour la Royal Danish Collection 

L’art de révéler l’invisible
Sophie Zénon saisit sous son objectif la dimension cachée du travail des licières. Ses images transportent le lecteur dans l’atmosphère unique des ateliers, dévoilant les outils, les fils, et l’ambiance singulière des manufactures. « Travailler sur les métiers d’art, explique-t-elle, c’est certes capter le ballet des mains, s’attacher aux matières, mais c’est aussi saisir les corps en mouvement, le souffle et le rythme qui animent chaque geste. Ma pratique oscille entre microcosme et macrocosme, capturant aussi bien les détails infimes que les ambiances des majestueux ateliers du Mobilier national, ou encore, à l’inverse, l’intimité des ateliers de liciers indépendants d’Aubusson ou de Felletin, où les tapisseries sont tissées directement dans les foyers des artisans, exactement comme au xviie siècle ! On y vit, mange, et dort tapisserie ! »


Le temps tissé
On ne peut s’empêcher d’évoquer l’Odyssée d’Homère, où chaque fil ajouté, puis défait par Pénélope rythme le passage des jours et des nuits, prolongeant l’attente d’Ulysse et nourrissant l’espoir de son retour. Car le tissage est une affaire de temps, et de temps long, une donnée à laquelle Sophie Zénon a su parfaitement s’adapter : « Avant de me confier la réalisation des photographies destinées à illustrer le suivi de fabrication des tapisseries dans le catalogue, la commissaire d’exposition Maria Gadegaard est venue me rendre visite dans mon atelier. Elle voulait en savoir plus sur ma pratique et sur mon approche du geste et des savoir-faire dans les métiers d’art. Cette visite l’a d’autant plus confortée dans le choix de me confier ce travail qu’elle a découvert, à cette occasion, que je connaissais déjà bien l’artisanat de la haute et basse lice, notamment pour avoir réalisé, en 2011, une campagne de prises de vue dans les ateliers textiles du Mobilier national. Or cette expérience préalable a été essentielle pour réussir à couvrir en trois mois une fabrication qui s’étale sur six ans. Comme je connaissais toutes les étapes de production, j’ai demandé aux licières de “rejouer” certains gestes accomplis antérieurement, sans rien perdre, pour autant, du naturel de chacune. J’ai pu ainsi saisir l’essence même du métier tout en travaillant efficacement.»

Les photographies de Tapisseries royales constituent un témoignage indispensable sur un art aussi précieux que méconnu. Illustrant la capacité du photographe à saisir l’essence des savoir-faire et la grâce des gestes, elles célèbrent la maîtrise des artisans d’art et le quotidien des Manufactures nationales. En plongeant au cœur de cet univers, ces photographies révèlent l’art exceptionnel des licières et soulignent leur engagement dans une forme d’art requérant une patience extrême, reflet d’une passion qui ne l’est pas moins : un patrimoine vivant qui mérite – ô combien ! – la visibilité à laquelle notre maison d’édition est heureuse, par ce catalogue, de contribuer.